Le linguiste Mathieu Avanzi, professeur à l'université de Neuchâtel qui étudie les variations lexicales du français, a pris le temps d’expliquer pour Ristretto pourquoi certains disent “comme dit”, “blutack” ou “panosse”, et pas les autres.
Comment les particularités linguistiques locales se sont-elles construites ?
Elles ont été très longues à se mettre en place. La première source de régionalismes, ce sont les calques depuis les anciennes langues. Jusqu’au 16e siècle, le français n’existait pas. Chaque province avait son dialecte. Quand la langue française est arrivée, les gens ont gardé leur accent, mais aussi des mots et des tournures syntaxiques. C’est pour ça que les Alsaciens disent “comme dit” ou “ils veulent de la pluie”.
Il y aussi les innovations. Lorsqu’un nouvel objet entre dans la vie courante, on utilise souvent le nom de la marque qui est commercialisée là où on habite. Le “blanc correcteur” est par exemple appelé “tipp-ex” près de la frontière allemande, du nom de la marque qu’on retrouvait dans les supermarchés dans ces régions. De même pour la “pâte adhésive”. Dans une grande partie de la France, on l’appelle “patafix”, du nom de la pâte commercialisée par UHU. Mais en Normandie, on l’appelle “blutack”, du nom de la pâte adhésive qui était vendue dans les Super U et qui venait du Royaume-Uni. C’est ce qu’on appelle des antonomases. Et même une fois que l’usage change, le mot reste, car les parents et les enseignants l’apprennent aux générations suivantes.
Est-ce qu’il y a d’autres cas particulièrement parlants ?
Un exemple qui illustre bien la construction des régionalismes, c’est celui du “sac en plastique”. Dans certains coins de l’est de la France et en Suisse, on l’appelle le “cornet”, qui désignait autrefois une poche en papier dans lequel on rangeait de la nourriture. L’emballage a changé, mais le nom est resté. Dans le sud-ouest on l’appelle “poche”, dans l’ouest un “pochon” … Ces mots viennent du français, mais ils ont pris des sens différents selon les régions.
Il y a aussi l’exemple de la “serpillière”. Dans ce cas, des termes ont été empruntés aux patois ou aux langues régionales pour combler un manque dans le français standard. Lorsque les sols ont changé dans les habitations et que la serpillière est arrivée, les gens l’ont appelé par le nom qu’ils utilisaient pour un vieux bout de chiffon. En Savoie et en Suisse, c’était “panosse”, “toile” en Normandie, “pièce” dans le sud ou “cinse” en Poitou-Charentes.
Est-ce que le français évolue encore selon les territoires ?
Oui, il y a des évolutions générationnelles. Une partie importante des plus de 50 ans, de toute la France, fait la distinction entre “brin” et “brun” à l’oral. Chez les moins de 25 ans, il n’y a plus que dans le sud, en Suisse et en Belgique que quelques personnes le font encore.
Et puis il y a des phénomènes de dérégionalisation, avec des mots qui sortent de leurs zones d’origine. De nombreuses particularités marseillaises s’exportent, comme “fraté” (qui veut dire “frère” en Corse, ce qui a été récupéré par les Marseillais), “degun” (personne), “cagole” ou “tarpin” (beaucoup). Ca s’explique par le succès de certaines émissions, type Les Marseillais, ou d’artistes comme Jul.
Quelles méthodes utilisez-vous pour cartographier ces régionalismes ?
On procède par sondages. Nous faisons appel aux gens via notre site et notre application “Français de nos régions”. On essaye d’avoir à chaque fois entre 12 et 15 000 participants. Au-delà de ce nombre, les cartes ne changent plus. On regroupe ensuite les données par territoires, on fait des pourcentages, ce qui nous permet de colorier les cartes.
Ce n’est pas difficile de trouver des participants. Les gens sont attachés à leurs régionalismes. Il y a des régions où l’identité est très forte. C’est l’esprit de clocher. On retrouve ça un peu partout dans le monde, ce n’est pas propre à la France, il y a les mêmes débats en Inde ou aux Etats-Unis.